TRIBUNE – Artistes et producteurs parient qu’un accord est possible sur le financement de la musique et demandent à l’Etat de ne pas jouer à l’apprenti sorcier

29 septembre 2023

TRIBUNE PUBLIEE PAR

Né en 2020 de la volonté de réunir l’ensemble des protagonistes de la musique au sein d’une même maison, le Centre national de la musique a été immédiatement confronté à la crise sanitaire. Il a fait face, sécurisé les entreprises immobilisées du spectacle, soutenu l’investissement fragilisé de la musique enregistrée. Il a passé son baptême du feu grâce à un « quoi qu’il en coûte » qui a multiplié son budget théorique par quatre. Mais, en trois ans et demi d’existence, il n’a jamais appliqué le rythme de croisière initialement programmé par le législateur. C’est pourquoi la question de sa vocation, de ses besoins, de sa surface d’action, au moment où sont consommés les derniers fonds exceptionnels, se pose encore aujourd’hui. Comme si l’établissement était sorti de sa toise sans pouvoir se résigner à y rentrer, l’Etat se retourne vers le secteur pour financer son redimensionnement.

S’exprimant lors de la Fête de la musique, le 21 juin dernier, le Président de la République donne l’été à la « filière » pour trouver un accord. Est-ce parce que le calendrier est irréaliste qu’il annonce dans le même temps, qu’à défaut, le Gouvernement proposera une taxe sur le streaming ? Chargée de mener la concertation, la ministre de la Culture a organisé en juillet une réunion par métier, interrogeant en silo la production de spectacle, la production de musique enregistrée, les organismes de gestion collective, les plateformes… Mais pas la moindre confrontation des points de vue susceptible de faire émerger des positions partagées, comme si chaque catégorie d’acteurs était par nature insensible à l’idée d’intérêt général, comme si le compromis était impossible.

On pourrait reprocher à l’Etat de gouverner par ultimatum, d’annoncer la recherche d’un accord sans organiser de négociation et finalement de s’imaginer infaillible tout seul, en un mot comme en cent, d’être jupitérien.

Pourtant, nous pouvons encore maîtriser notre destin collectivement et construire un CNM à la hauteur des enjeux, comme nos prédécesseurs l’avaient fait en créant, aux côtés de l’Etat, le Fonds pour la Création Musicale dans les années 80, le Fonds de Soutien à la Chanson, aux Variétés et au Jazz dans les années 90 et enfin le Centre national des Variétés en 2001.

Sur la méthode, la date butoir du 30 septembre n’est pas justifiée : le gouvernement a la possibilité durant l’automne de proposer au Parlement un amendement au projet de loi de Finances portant création d’une nouvelle taxe. Elle n’est pas non plus réaliste, puisque celle-ci ne produirait pas de rendement avant au moins deux ans, entre l’impérative notification aux autorités européennes et le temps nécessaire à sa collecte. L’industrie musicale a fait la preuve encore très récemment de sa capacité à conclure des accords sur des sujets sensibles qui semblaient voués à l’échec, comme la rémunération du streaming pour les artistes-interprètes. Un accord fondateur sur le financement du CNM est encore possible, avec la volonté des partenaires, l’appui des pouvoirs publics et le temps nécessaire à l’émergence de compromis.

Sur le fond, l’injonction de l’exécutif à trouver de nouvelles ressources dans l’urgence ne doit pas mettre en risque nos modèles économiques divers, déjà éprouvés par des crises multiples :

Pour le spectacle d’abord, il convient de maintenir les équilibres actuels de la taxe billetterie. En contrepartie de cette taxe, les entreprises imposées en France perçoivent des aides automatiques qui mériteraient demain d’être conditionnées à l’investissement dans la production de spectacles et l’emploi d’artistes.

Pour la musique enregistrée ensuite, déjà soumise à une TVA de 20%, si le gouvernement tient absolument à créer un nouvel impôt, il ne devrait pas s’agir d’une ponction supplémentaire sur les revenus des auteurs, artistes et producteurs. Ce débat devrait être au contraire l’opportunité de mieux rétribuer l’utilisation de la musique par les services financés par la publicité tels que les réseaux sociaux, gratuits pour le consommateur et qui ne rémunèrent pas la création à sa juste valeur. Dans le même temps, il faut encourager le développement de l’abonnement, car il porte le renouveau du marché de la musique tout en restant un pari fragile.

Et pour la musique dans son ensemble, cela implique l’ouverture d’un débat franc avec le CNC sur le rapatriement, vers le CNM et l’Association pour le soutien du Théâtre Privé, des ressources et des missions dédiées à la musique et au spectacle vivant, comme la Cour des comptes vient de le suggérer à l’Etat.

Enfin, et au-delà même des intérêts catégoriels, ces nouveaux moyens doivent être à la hauteur de l’ambition : porter la musique vivante auprès des habitants des villes, des banlieues et des campagnes, alors que le service public n’a pas aujourd’hui les moyens de le faire et que la rentabilité est aléatoire pour le secteur marchand ; créer un effet levier pour les artistes professionnels dans toutes les esthétiques, y compris pour des répertoires qui, bien que populaires, ne trouvent pas leur compte aujourd’hui sur les plateformes de streaming ; plus généralement, permettre aux artistes de trouver le soutien nécessaire à leurs projets d’enregistrements ou de concerts, au bénéfice de tous les mélomanes. Cette ambition, c’est encore de prendre part aux grands défis de notre époque, notamment en conjuguant le rayonnement de la création avec les impératifs de la transition écologique.

Artistes, musiciens, producteurs de spectacles et de musique enregistrée sont prêts à y travailler de concert.

Signataires
Jean-Luc Bernard, musicien et secrétaire général du syndicat national des musiciens et du monde de musique FO
Anne Bouvier, actrice et présidente de l’Adami, organisme de gestion collective des droits des artistes-interprètes
Sophie Bollich, violoniste et présidente du syndicat CGT des artistes musiciens et musiciennes
Bertrand Burgalat, musicien, producteur et président du Snep, syndicat national de l’édition phonographique
Laure Desbre, chanteuse, musicienne et vice-présidente de la Fédération CFE-CGC de la Culture de la Communication et du Spectacle
Rémi Lourdelle, secrétaire national de la Fédération communication, conseil, culture de la CFDT
Fabrice Roux, producteur, directeur de salle et président de La Scène Indépendante, syndicat national des entrepreneurs de spectacles

 

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